Peu à peu, certaines choses normales réapparurent. Le courrier fut rétabli quelques semaines après. Nous avions signalé notre point de chute aux seules adresses connues et nous commençâmes à recevoir au compte-gouttes quelques nouvelles. Tout d'abord par Chantal qui était restée au Puy et qui fut ainsi la plaque tournante des échanges d'information. Xavier, après des évacuations bombardées, désordonnées et abandonnées, s'était retrouvé à 50 kilomètres d'Argelès. Jean Dhavernas était démobilisé. Mon ancien chef scout Jacques Poissonnier, jeune officier avait été tué lors du bombardement de la gare de Tergnier. Et l'on devait apprendre un peu plus tard la mort de François Malliart, qui s'était farouchement défendu dans son char d'assaut et y avait été tué le 19 mai, dans le cimetière de La-Rue-des-Vignes, non loin de Cambrai. Mon père était sain et sauf au milieu de ses archives dans Paris occupé (il avait été à pied à Versailles constater que notre maison n'avait pas souffert). Assez longtemps après ces premières nouvelles nous apprîmes que Paul-André avait été fait prisonnier dans le nord. Il restera cinq années en Allemagne dans différents "Offlags".
Dans l'attente d'on ne savait quoi, on s'ennuyait furieusement entre l'hôtel Baron et les jardins [ci-contre] du Casino d'Argelès. On se promenait, on escaladait les montagnes voisines, on se baignait dans les lacs, on bavardait avec les gens de toutes sortes que nous avions rencontrés. Les juifs de notre hôtel étaient agréables avec nous et nous avec eux. Bien qu'un soir je devins impopulaire, en posant à haute voix la question de l'origine du plat de lapin que l'on nous avait servi, peu après que la chatte des patrons eut mis bas quelques petits... Grâce à l'appui de l'autorité militaire locale, les trois Lesort du sexe faible purent aller en voiture de l'Armée rendre visite à Xavier, cantonné à Arzacq. A pied et en stop, j' allai voir des amis de Versailles réfugiés dans la région. Enfin un bachot fut organisé à Tarbes. J'y tentai ma chance et fut à cette occasion chaleureusement accueilli dans la famille de l'archiviste des Hautes-Pyrénées, Monsieur Balenci, sa femme et ses trois filles. Je tombai, ces quelques jours, amoureux de la dernière de celles-ci. Au lycée de Tarbes où se déroulaient les épreuves, je retrouvai quelques copains de Versailles : Jean Boissard, Gérard de Pins, Christian Préaux. Grâce à celui-ci qui, voisin d'épreuves, me souffla la formule géométrique du tronc de cône, je fus admissible - de justesse . Mais ma "collante" arriva après la date des oraux, le plus grand désordre régnant dans les postes, comme ailleurs. Je dus donc attendre la session d'octobre, sans même savoir dans quel coin de France je passerais cet oral.
Avant que la zone occupée par l'Allemagne ne fut étroitement bouclée par la fameuse "Ligne de démarcation" (de Pau, à Bourges, Moulins, Châlons sur Saône et Genève), les réfugiés furent progressivement rapatriés par convois entiers. Ma mère retourna seule à Versailles. Marie-Madeleine et Wilhelmine partirent rejoindre les Dhavernas provisoirement installés à Vichy, où venait de s'installer le gouvernement du nouvel "Etat Français".