|
La famille de Xavier Lesort en 1957 pour la fête des mères. |
A la fin des années 60 nous habitions Boulogne-sur-mer où notre père, Xavier Lesort, travaillait comme secrétaire général d’une grande entreprise de pêche et de conserveries, les Pêcheries Delpierre.
Nous habitions une grosse maison sur les hauteurs de la ville ce qui permettait d’accueillir facilement nos visiteurs dans cette contrée septentrionale.
Une année où nos grands-parents étaient venus nous voir, il fallait trouver des occupations à nos invités après les habituelles visites aux monuments et curiosités locales (le château de Godefroy de Bouillon, les remparts, la basilique, la colonne Napoléon, etc…).
Pour notre grand-mère, pas de problème : détentrice d’innombrable nouvelles, anecdotes ou souvenirs provenant de la vaste famille Madelin-Bonnet, de toute sa propre famille ainsi que de toutes ses nombreuses amies et relations, il suffisait d’une oreille complaisante comme celle que maman savait lui prêter avec toute la bonne volonté et l’attention nécessaire.
Pour notre grand-père par contre, nettement moins porté à ce genre de distraction et à défaut de vieilles pierres ou de passionnants vestiges à ausculter, une bonne marche, dont il avait toujours été grand amateur, s’imposait.
Aussi, un après-midi où papa était à son bureau, maman nous demanda à mon frère aîné et à moi -nous avions une douzaine d’années- d’emmener notre grand-père faire une grande promenade avec toutefois moult recommandations compte tenu de ses 80 ans.
A l’époque, passionné par les poissons exotiques, j’avais un aquarium dont je m’occupais avec le plus grand soin, en particuliers pour la nourriture de mes petits pensionnaires multicolores.
Pour qu’ils restent bien vifs et bien colorés, il fallait leur apporter régulièrement de la nourriture vivante que je devais acheter fort cher, dans une animalerie, avec mes maigres économies.
Aussi ayant découvert auparavant dans la campagne, je suppose avec les louveteaux, un petit ruisseau où abondaient des crevettes d’eau douce, tout à fait recommandables à cet usage, je cherchais toutes les occasions pour y aller pêcher.
Le seul inconvénient était que c’était plutôt loin de la maison, aussi pour raccourcir le trajet, fallait-il couper à travers bois et champs avec juste quelques petites difficultés, sans doute négligeables pour des enfants, comme de passer sous des clôtures en barbelés, de traverser des taillis ou des ronciers et ô suprême aventure de traverser une rivière assez profonde, en équilibre sur un tronc d’arbre abattu.
Je crains que nous ayons quelque peu omis de le préciser à nos parents, ce n’était en effet pour nous que de légers détails, quand fut fixé le but par ailleurs tout à fait honorable de la balade.
|
|
Celle-ci s’est d’ailleurs très bien passée même si la traversée de rivière, en équilibre sur le tronc, fut quelque peu périlleuse : l’un devant, l’autre derrière, nous tenions chacun une main de notre grand-père muni, il faut le dire, de chaussures de ville aux semelles en cuir glissantes à souhait.
Notre grand-père qui avait survécu aux bombardements allemands de 1918, à ceux des anglo-américains en 1944, aux écroulements possibles des monuments en péril ainsi qu’à quelques autres dangers domestiques, s’en sortit tout à fait honorablement, son costume habituel également.
A notre retour à la maison, notre grand-père fourbu mais radieux, enchanté de cette sortie pleine d’imprévus pour lui, multiplia les compliments à notre égard auprès de maman épanouie : notre endurance, notre sens de l’orientation, l’assistance sans faille que nous lui avions apporté, notre ingéniosité pour capturer les crevettes avec des épuisettes en vieux bas, etc…
|
|
Toutefois le récit également enthousiaste, par notre grand-père, des traversées de taillis, de ronciers ou de barbelés firent nettement bonne impression, quand au numéro d’équilibriste sur le tronc d’arbre il provoqua l’effarement rétrospectif de nos parents.
La geste familiale en garda longtemps le souvenir, pas du tout exagéré bien sûr, inscrit au chapitre des diverses fois où notre grand-père avait risqué sa vie !
François Lesort
André Lesort dans sa tenue habituelle ville-mer-campagne, ici sur la plage d’Ambleteuse en 1955 avec Sabine Lesort.