L'humour de notre grand-mère Elisabeth Lesort est resté légendaire dans notre famille et chez ses relations, ce que nombreux cousins peuvent attester pour l'avoir constaté.
Notre cousine Anne Kervella n'y déroge pas avec quelques exemples bien choisis :
Quand j’étais petite, je savais déjà que notre grand-mère Elisabeth Lesort était une one-woman-show célèbre, et toutes ses contemporaines me répétaient : «Comme votre grand-mère nous a fait rire pendant la guerre !» – assertion dont le paradoxe ferait un bon titre de spectacle.
L’humour de « Bobeth » se manifestait particulièrement lors des interminables files d’attente devant les commerces d’alimentation, qui se formaient plusieurs heures avant l’ouverture et s’achevaient en fatigue et déception. Ainsi un matin, l’épicier sort sur le pas de la porte et annonce : «Je n’ai plus de denrées que pour les familles qui ont des cartes J3 (adolescents)». Du coup, Grand-Mère devance une pauvre dame qui éclate en imprécations, et l’accuse de faire partie de ces moins que rien qui couchent pour profiter des avantages en nature… Devant le tombereau de grossièretés qui s’abat sur la tête de notre aïeule, le flic du coin s’interpose et menace la virago de l’emmener au poste. Grand-Mère pose la main sur le bras de Pandore et laisse tomber à haute et intelligible voix : «Laissez, mon ami, vous voyez bien que ce sont là propos de femme stérile…
Notre grand-mère Elisabeth Lesort avait l’art des reparties humoristiques, et animait parfois la conversation dans les longues files d’attente pour échanger tickets contre nourriture durant l’occupation. Une fois, une vieille demoiselle aussi pieuse que célibataire ayant évoqué sa vision du Paradis comme un lieu de délices où les élus «pourront processionner éternellement à la suite de l’Agneau divin», grand-mère lui répondit : «C’est ça, et pendant ce temps-là les mères de familles nombreuses, commodément assises dans de confortables fauteuils, vous regarderont passer», provoquant les fous rires discrets des autres dames de la queue.
Germaine Berthier-Madelin avait également la même opinion à son sujet :
Nous avions aussi de jeunes tantes, tante Bobeth (Madame LESORT) et tante Lucie (Madame QUILLlARD). Toutes deux étaient très gaies et spirituelles.
Les réparties de tante Bobeth étaient connues. Pendant la guerre de 1940, à Versailles, on s'arrangeait peur être avec elle dans les queues insipides de ravitaillement qui duraient parfois plusieurs heures, il y avait des «cartes de priorité» pour les mères de famille nombreuse. Cela leur permettait de passer un peu plus vite que les autres. A un Monsieur qui lui disait : «Vous ne pouvez pas attendre comme tout le monde» tante Bobeth qui avait neuf enfants, avait répondu: «J'ai attendu neuf fois neuf mois. Et vous ?»
Notre grand-mère n’était pas seulement imaginative et originale, elle avait du panache et du courage. Après la mort de notre grand-mère, pour la première fois de sa vie, elle s’est retrouvée toute seule. Les Kervella étaient géographiquement ses plus proches, et nous voisinions le plus possible, mais cela lui laissait tout de même de longues heures pour affronter le deuil et la solitude. Au bout de quelques jours, elle nous a déclaré : «J’ai décidé de ne pas me coucher le soir sans avoir vu trois choses drôles dans ma journée. Ainsi, aujourd’hui…» Et chaque fois que nous nous rencontrions, elle commençait avec entrain : «Ah ! Que je vous raconte ! Mes trois choses drôles !» Or elle avait un tel sens du comique de situation, de la brève de comptoir, de l’absurdité ordinaire, qu’elle nous faisait mourir de rire avec des scènes qui auraient échappé à n’importe qui…