Paul Xardel (1854-1933) |
Nous retranscrivons des extraits d'une lettre de condoléances de Paul Xardel, fils de Victoire Xardel née Madelin, à son oncle Amédée Madelin, notre arrière-grand-père, à l'occasion du tragique décès, à l'âge de dix-sept ans, de sa cousine Marguerite Madelin (1876-1893), sœur aînée de notre grand-mère Elisabeth Lesort-Madelin.
Les circonstances de cette disparition prématurée de Marguerite, dont son père ne se remit jamais vraiment, ont été très bien décrites par Elisabeth Lesort dans ses souvenirs. (Saga Lesort-Madelin tome 2 p. 84 à 89)
Les circonstances de cette disparition prématurée de Marguerite, dont son père ne se remit jamais vraiment, ont été très bien décrites par Elisabeth Lesort dans ses souvenirs. (Saga Lesort-Madelin tome 2 p. 84 à 89)
Paul Xardel, militaire de carrière était par ailleurs un homme cultivé, qui écrivait des lettres d'un style soigné et unanimement reconnu pour avoir écrit un certain nombre de poèmes de valeur.
L'aspect très affectueux et extrêmement démonstratif de ce courrier n'échappera à personne et reflète, semble t'il, bien la personnalité de son auteur.
Elisabeth et Lucie Madelin, le 15 août 1894, en robes de demi-deuil après le décès de leur sœur |
A l'enterrement de sa sœur, notre grand-mère nous parle d'ailleurs du "romanesque Paul Xardel très ému"; on ne peut en effet qu'apprécier la justesse de l'observation quand on lit, ci-dessous, des extraits de la lettre de condoléance de ce dernier à Amédée Madelin :
" Mon cher Oncle,
Dans ce jour de deuil qui réunissait autour de vous toute la famille éprouvée par la
même douleur, tu me dis avec un accent plein d'angoisse : "N'est-ce pas, tu n'oublieras pas ta cousine Marguerite!"
même douleur, tu me dis avec un accent plein d'angoisse : "N'est-ce pas, tu n'oublieras pas ta cousine Marguerite!"
Non certes je ne suis pas près de l'oublier cette chère enfant perdue que je regardais volontiers comme une petite sœur surnuméraire et j'ai voulu répondre à l'appel de ton cœur en rassemblant mes plus récents souvenirs sur ma cousine Marguerite.
A cette année là, restera toujours attaché le souvenir de ma cousine Marguerite. Elle avait juste 17 ans et était venue passer trois jours avec nous pour la première communion de ma nièce Thérèse. Tous nous avions admiré cette belle cousine si jeune et si gaie. La plupart d'entre nous ne l'avaient vue qu'enfant et ne la connaissaient que par les lettres qu'elle écrivait régulièrement aux fêtes et aux anniversaires...
Aujourd'hui l'enfant était une jeune fille, grande, souple, animée de cette gaieté sympathique qui répandait autour d'elle l'entrain et la bonne humeur.
Ce qui plaisait en elle, je ne saurais le définir : c'était le sourire de ses yeux candides, de ses lèvres entrouvertes sur des dents éblouissantes ; c'était son amour pour les petits qu'elle savait amuser par des jeux nouveaux et surprenants ; c'était le charme d'un jour de printemps qui déride les fronts les plus soucieux et ramène la vie dans les cœurs les plus desséchés ; c'était enfin la grâce d'une fleur à peine éclose qui s'ignore encore elle-même et à qui vont toutes les admirations.
Ah ! la jolie et chère fleur que c'était. Et nous disions : comme il sera heureux celui pour qui cette fleur va s'épanouir et qui respirera son parfum. Hélas, celui qui devait la si tôt cueillir, l'a bien choisie !
Un mois à peine s'était écoulé depuis que nous l'avions vue partir, quand dans les premiers jours de juin, un après-midi, au moment où je m'apprêtait à sortir, on vint sonner à ma porte. c'était le planton du bureau qui m'apportait une dépêche.
Chacun connait cette émotion particulière que cause une dépêche et que je ne manque jamais d'éprouver. Pendant que le planton s'excusait du retard, expliquait les démarches qu'il venait de faire pour me trouver, je cherchais à rompre le pli funeste, à deviner son origine, à surprendre son contenu. Et je ne voyais d'abord que deux mots qui me donnaient le vertige : Marguerite, pauvre Marguerite! Et je ne réussissais pas à comprendre, même quand la phrase entière apparut et que je lus ou plutôt que j'entendis comme une plainte lointaine : "Dieu a rappelé à lui notre pauvre Marguerite".
... Le surlendemain à la première heure nous sommes partis, tous ceux d'entre nous qui ont pu partir : ma mère et ma sœur de qui ce deuil ravive le souvenir de deuils toujours présents. Sur la banquette, en face de nous, dans un grand papier qui la défend de l'ardeur du soleil et de la poussière de la route, est posée avec soin la couronne de lys et de roses blanches que nous allons porter à ma cousine Marguerite.
Triste voyage! il faut penser plus qu'à sa tristesse, à la tristesse de ceux qu'on va trouver là-bas et qui depuis deux jours pleurent et prient au pied du lit où repose immobile ma cousine Marguerite.
... Dans une chapelle tendue de blanc, le cercueil repose au milieu des fleurs : bouquets, guirlandes, et couronnes de toute grandeur, de toute forme, chacun a déposé son tribut, et au-dessus de ces pieuses offrandes, comme pour les résumer, se dresse à moitié une large couronne, sur laquelle court une gerbe de blanches Marguerites.
... Si humble et si modeste pour elle-même, mais très fière de sa famille, elle disait : "Quand je me marierai, vous verrez le beau cortège de mariage que j'aurai".
Le voilà le cortège rêvé pour ses noces. D'abord le père [Amédée Madelin. ndlr] entre les quatre fils [Jules, René, Louis, Léon Madelin. ndlr] dont il est justement si fier, puis les oncles, les cousins, puis les amis. Aux habits noirs se mêlent les uniformes éclatants ; l'or et l'argent des épaulettes, l'acier des sabres miroitent et brillent au soleil. Mais dans les yeux roulent des larmes obstinées, un crêpe est noué sur tous ces uniformes. Car devant le cortège, entre les demoiselles d'honneur qui portent un cierge orné d'un ruban de satin, elle s'en va la fiancée sous le voile blanc des vierges et couronnée de fleurs : elle suit lentement le chemin où quinze ans plus tôt est passée sa sœur Jeanne ; le char enrubanné qui la porte longe la même haie verte et accroche aux branches ses tentures flottantes. Au bout de l'allée s'ouvre l'enclos funeste où le lit nuptial est creusé dans la terre.
On l'a déposée là ma cousine Marguerite ! Chacun vient la saluer une dernière fois. Entre ses quatre filles [Noémi, Geneviève, Elisabeth et Lucie Madelin. ndlr] que suivent leur tante [Victoire Xardel née Madelin. ndlr] et leur cousine [Marie Xardel. ndlr], s'est avancée la mère. O mère douloureuse !
... Lentement le cortège s'éloigne. Elle reste toute seule ma cousine Marguerite. Au bruit étouffé des sanglots succède le retentissement de la terre qui tombe dans la fosse. Dans la haie verte que surmontent les grands arbres pleins d'ombre, un oiseau chante. Et dans les yeux éblouis le soleil de midi plane dans sa gloire.
... Vous aimiez la vie, vous ne vouliez pas mourir ma chère cousine Marguerite ! Le Seigneur vous a donné la Vie Éternelle, vous ne mourrez point.
Paul Xardel
12 juin 1893
Voiture mortuaire vers 1900 |
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