Nous avons raconté comment la Pichardière avait été achetée trois fois par nos ancêtres Aucante et comment François et Marie-Victoire Aucante y entreprirent des travaux et lui donnèrent l'aspect qu'elle garda jusqu'à sa démolition, mais son histoire continue et la propriété passe dans les mains suivantes:
- La fille unique de François et de Marie Victoire, Adélaïde Aucante (1776-1863) épouse en 1794 Louis Ferdinand Bonnet
- Le fils d'Adélaïde et de Ferdinand Bonnet , Jules Bonnet ( 1795 – 1875 ), épouse Eugénie Desnoyers (née en 1817 à Neuville-1900) fille de François Desnoyers (né en 1787 à Neuville -1846) et de Cécile Ducloux (née en 1798 à Neuville)
François et Cécile Desnoyers possèdent "Le Carrouge " à Neuville.
- Jules et Eugénie Bonnet ont 7 enfants : Paul ( 1839-1907 ) - Jules (1840-1928 ) -Marie (1842-1936) qui épousera Amédée Madelin - Cécile (1848-1919 ) - Henri ( 1849-1922) -Félix ( 1851-1918 ) – Abel (1851-1855)
- Marie Bonnet et Amédée Madelin ont 13 enfants dont Elisabeth Madelin-Lesort et Jules.
- En 1900, Marie Madelin et son frère Paul Bonnet, célibataire, héritent de La Pichardière . A la mort de Paul, les Madelin restent seuls propriétaires. En 1936 Jules Madelin, fils aîné, en hérite.
- Pierre Madelin (1896-1971) vendra la propriété à la ville de Neuville en 1957.
(Une partie des terres avait déjà été vendue à la commune en 1952).
Dans ses souvenirs, Elisabeth Lesort, notre grand-mère raconte très bien la délicate succession Bonnet de 1900 pour sa chère Pichardière :
"Le 12 février [1900], ma chère grand-mère mourut, entourée de tous ses fils et filles et ce fut un grand chagrin pour nous tous. Quel souvenir j’ai gardé de cette femme si distinguée et si particulièrement bonne pour moi.
Sa mort posait un problème… qu’allait devenir La Pichardière ? C’était terriblement émouvant. On se partagea sans peine les nombreuses terres de mes grands-parents.
Mes oncles et tantes les revendirent, au bout de quelque temps. Nous avons toujours gardé la nôtre : la chère Brase, dominée par un orme gigantesque, inattendu en plein champ.
Tante Cécile, surtout très peu terrienne, vendit son champ dès les vacances suivantes. Mais La Pichardière fut très discutée, sinon disputée. Tante Cécile [ réputée dans sa famille pour avoir un avis autoritaire sur tout mais généralement plutôt à mauvais escient.NDLR] voulait qu’on la vende à notre cousine, Madame Paul Denormandie qui n’en avait nullement envie. L’oncle Jules, avec un air un peu méfiant pour nous, la voulait à l’oncle Paul. Les Félix aussi, au fond, mais très favorables et délicats en voyant maman la désirer. Chose inattendue, papa qui s’y était tant ennuyé jusqu’ici, montra une vraie tendresse pour notre Pichardière. Il fut déçu qu’elle soit attribuée à l’oncle Paul. Sur ce, celui-ci, toujours bon, proposa de l’avoir en commun avec mes parents.
Cela fut fait, malgré la mauvaise humeur de l’oncle Jules. Pourtant, il savait qu’il aurait presque sûrement, un jour, la propriété de sa belle-mère à Gex.
La communauté de La Pichardière, entre mon oncle et mes parents, fut charmante. Tout le monde y mettait de la délicatesse car on devait continuer à recevoir tous nos oncles et tantes, en vacances, moyennant une petite pension."
Marie Madelin-Bonnet vers 1900 |
Une lettre retrouvée dans nos archives et retranscrite par Catherine Chenu, nous donne un éclairage sur ces tractations toutes feutrées de délicatesse mais toutefois avisées qui permirent à Marie Madelin d'hériter d'une propriété qu'elle rêvait visiblement d'obtenir pour sa famille.
Les discussions sont terminées et les dispositions arrêtées, mais Marie Madelin, profondément bonne et scrupuleuse, s'inquiète encore qu'une trop forte contrainte affective et morale n'ait pesé sur sa famille pour obtenir ce résultat.
Dans son désir d'être rassurée à ce sujet, on admirera donc, dans ce courrier adressé à son frère Jules, toute la finesse d'une prise à rebours de ses propres arguments, alors qu'elle a visiblement déjà partie gagnée mais que sa famille de 29 personnes risque de trop peser dans la balance, que l'affection que lui portent ses frères a peut-être été trop sollicitée, qu'elle est prête à renoncer ...
Lettre de Marie Bonnet-Madelin à son frère Jules Bonnet
"Le 29 mars 1901
Mon cher Jules,
Paul vient de nous écrire son acceptation d'une copropriété de la Pichardière entre lui et moi.
Mais point de malentendu ni de surprise n'est ce pas ? je lui avais proposé il est vrai payant et à solliciter une réponse qui ne m'arrivait pas, j'avais fait valoir nos motifs près de lui et de Félix, c'est encore vrai ; mais cela avait abouti à un refus de sa part ; j'avais vu qu'il était étayé sur l'opinion de tous les autres. Je ne comprends pas très bien ce qui a changé la détermination de Paul ; mais je crains que ce soit de sa part et de la votre un acte de pure complaisance que vous pourrez porter comme un fardeau. Cela ne m'apparaît plus à moi-même sous le même jour ; j'en redoute la responsabilité, j'en vois les inconvénients d'une façon plus saillante ; j'y renoncerais avec beaucoup moins de regret qu'il y a huit jours. Enfin je reste sous l'impression de la conversation que nous avons eue avec toi le Dimanche 18 et dont la conclusion était tout autre .
Voila pourquoi, avant d'écrire à Paul notre acquiescement pur et simple à son offre, j'ai tenu à t'en parler, et à savoir de toi ce qui avait pu modifier une opinion si assise chez vous tous ; te répétant que je serais désolée de m'imposer, et que nous en sommes à nous demander si nous avons raison de mettre dans la balance le poids de nos 29 personnes. Je voudrais aussi qu'il n'y ait jamais le côté de Paul et le nôtre et que jusqu'à concurrence du remplissage, la maison fut ouverte à tous en toute saison. La lettre de Paul est d'une cordialité charmante ; je sais que je rencontre la même chez tous; mais c'est une raison de plus pour nous mettre en garde contre un excès d'affection. J'en resterai aussi touchée si cela ne se fait pas que si cela se fait, et moins affectée que je ne l'avais cru d'abord si la copropriété n'est pas possible. Je ne te demande donc que la plus entière franchise et je t'adresse l'assurance de mon inaltérable affection.
Marie Madelin"
Les familles Bonnet et Madelin à la Pichardière à la même époque. |
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