Memento |
Parmi les nombreux documents que recèlent nos archives nous avons pu juxtaposer, d'une façon assez inattendue, le faire-part de décès de notre arrière grand-mère Marie Madelin née Bonnet avec un billet d'humeur virulent à son sujet paru dans le journal de la SFIO (socialiste), dirigé par Léon Blum.
Ce faire-part, très complet, reprend la totalité de la nombreuse descendance de Marie Madelin et on y retrouve nos grand-parents, nos oncles et tantes et les aînés de nos cousins (sur le cercueil de Marie Madelin avait été placé une immense couronne portant l'inscription "A notre grand-mère, ses 143 petits-enfants et arrière petits-enfants").
Ce faire-part cite également les fonctions et décorations de chacun et dans le "Petit Journal", quotidien des gens "biens" de l'époque, l'auteur d'un billet quotidien intitulé "Aux vérités de la Palisse" se serait paraît-t'il "tout pâmé d'admiration" (sic) pour une si nombreuse et si brillante descendance...
C'en était trop pour Amédée Dunois, rédacteur très connu du journal socialiste "Le Populaire", où il publia dés le lendemain un libelle vitriolé sur l'affreux symbole que représentait une telle famille!
On pourra en être surpris car ce genre de circonstances inspire généralement plutôt le respect ou tout au moins la retenue.
Mais nous sommes en 1936, après la victoire du Front Populaire, et la situation politique et sociale est assez tendue et les tendances les plus à gauche sont plus que jamais dans une perspective de lutte des classes pour laquelle tout doit servir.
Nous vous communiquons ci-dessous les pièces du dossier ...
Un faire part de " bourgeois capitalistes":
Les annonces dans le journal La Croix
Parutions dans la Croix des 26 et 27 août 1936 |
Amédée Dunois |
L'auteur de l'article, Amédée Dunois (1878-1945), n'est pas un inconnu. De son vrai nom Amédée Catonne, il est né dans un milieu plutôt bourgeois mais devient militant anarchiste et syndicaliste révolutionnaire. Influencé par le marxisme, il adhère en 1912 à la SFIO et entre au journal l'Humanité. En 1920 à la scission de la SFIO au congrès de Tours il participe à la création de l'Internationale Communiste, futur PCF, et devient membre du Comité directeur mais en est écarté en 1925. Il quitte le parti en 1927 et adhère à nouveau à la SFIO dans sa tendance la plus à gauche en 1930. A ce titre il devient un collaborateur infatigable du journal "Le Populaire", organe de presse de la SFIO dirigé par Léon Blum où il multiplie les articles d'actualité politique, d'histoire, de doctrine et les revues de presse. Résistant au sein du parti socialiste clandestin pendant la guerre, il est arrêté et mourra en déportation en 1945.
21 octobre 1936 (Gallica) |
Tribune Libre
LES VÉRITÉS DE LA PALISSE;
Mme Marie-Félicité Bonnet, veuve de M. Amédée Madelin, ancien magistrat, vient de mourir à Paris dans la 95 ème année de son age. Elle était la mère de mon vieil ami Louis Madelin. C'est pourquoi j'ai sous les yeux son "faire-part". Je ne crois pas qu'il soit inutile de le montrer à ce grand public à qui l'on débite tant de sottises.
Mme Amédée Madelin laisse huit enfants, quarante-sept petits-enfants et soixante-sept arrière-petits-enfants. Je renonce à compter les neveux, nièces, arrière petits-neveux et petites-nièces!
Sur la longue liste de ses descendants, je relève un académicien (Louis Madelin), deux généraux, huit officiers de l'armée de terre, deux officiers de l'armée de mer, sept fonctionnaires, huit ingénieurs ou industriels, deux avocats, un médecin, etc., etc.
Tous ont travaillé, passé des examens, gagné des grades, tous ont servi, et à peine en est-il deux ou trois qui n'aient pas fondé de foyer et perpétué la race.
Encore ne trouve t'on pas sur la lettre de deuil le nom des disparus. On voudrait les connaître pour ne rien ignorer de cette magnifique souche lorraine.
Mais ceux qui restent ne suffisent-ils pas à porter témoignage de cette vitalité? Ne disent-ils pas assez les vertus d'une classe sociale si souvent et si grossièrement calomniée? N'a t'on pas le droit et même le devoir d'opposer les milliers de familles qui assurent, comme celle-ci, le présent et l'avenir du pays à ces fameuses deux cent familles que les pamphlétaires accusent - et souvent sans preuves - d'exploiter la nation et même de la gouverner?
Monsieur de la Palisse
Le Petit Journal du 20 octobre 1936. (Source Gallica) |
En 1929, la nombreuse famille Madelin déjà à l'honneur dans la presse.
La revue mensuelle ABC – artistique et littéraire – reproduit dans son numéro 54 de juin 1929, sous la plume d’un certain Jacques des Gachons, la réception de Louis Madelin, le 23 mai précédent, à l’Académie Française. L’essentiel de cet article est consacré au discours de réception prononcé par Henry Bordeaux, qui souligne le grand nombre et la vivacité quelque peu bruyante de la famille de notre académicien, autour de sa mère Marie Madelin, née Bonnet, notre arrière grand-mère. Philippe Madelin.
La revue ABC n° 54 de juin 1929 |
« Louis Madelin a beaucoup d’amis et une famille innombrable. Aussi sa réception du 23 mai fut-elle d’une cordialité qui n’apparaît pas toujours en ces sortes de cérémonies. A la margelle d’une de ces étranges loges creusées dans les murs de la coupole et auxquelles on arrive par d’étroits et obscurs escaliers, on apercevait une vénérable dame entourée de jeunes enfants. C’était la mère du héros de la fête et quelques-uns de ses petits-fils ou arrière-petits- fils. Elle était la doyenne et comme la présidente de cette débordante assemblée (ndlr : 87 ans à cette date).
En face d’elle, au bureau, Henry Bordeaux recevait le récipiendaire. Or, il se trouve qu’Henry Bordeaux est un très bon ami de Louis Madelin. Ils ont fait la guerre coude à coude. Et cela permit à Henry Bordeaux d’évoquer les ancêtres et les derniers héros de la famille de Louis Madelin : « Vous appartenez à l’une de ces familles qui font la force d’un pays… Leurs livres de raison nous expliquent pourquoi la vieille France a tant de puissance et de durée. Vous eussiez écrit votre histoire privée qu’elle se fût reliée sans peine à vos ouvrages d’histoire nationale et qu’elle eût justifié vos plus belles pages sur les réveils français. Mais ne confère-t- elle pas à un historien une autorité particulière quand il rencontre les siens, parents ou alliés, jalonnant de leurs tombes nos frontières rapprochées ou lointaines : trois neveux, trois beaux jeunes gens de vingt ans, tués sur la somme, à Montdidier, au Chemin des Dames ; ce jeune commandant Léon Madelin, votre frère, tombé devant Notre-Dame- de-Lorette, comme il venait d’enlever les premiers Ouvrages Blancs à la tête de ses chasseurs (frappé d’une balle au cou, il voulut traverser debout les rangs de ses hommes pour ne pas les ébranler) ; ce petit lieutenant Emile Madelin, votre espérance, votre fils, tombé du ciel de Syrie, et ce Général Clavery, votre beau-frère, assassiné au Sud-Oranais et vengé sur place par le maréchal des logis qui l’accompagne et qui est son enfant ? Voilà, sans doute, pourquoi vos livres, sortis des archives, ont un frémissement si humain. »
Et Henry Bordeaux se retient de nommer les vivants.
Ils étaient dans la salle, j’ai pu leur serrer la main, car moi aussi je suis un ami, parmi tant d’autres.
Frère ou beau-frère, deux généraux ; plusieurs jeunes officiers et qui commandent en Alsace ou en Lorraine.
Mais il n’y a pas que des soldats. Voici un archiviste, et l’un des plus réputés de France, sa femme est une Madelin et qui porte à son corsage le ruban des familles nombreuses et sur les lèvres et dans les yeux l’esprit le plus pétillant (ndlr : André et Elisabeth Lesort, nos grands-parents).
Et puis, tout autour, ce ne sont que jeunes filles et jeunes gens, les uns et les autres souvent pourvus de parchemins, ces titres de noblesse d’aujourd’hui…
L’aïeule de la loge qui eut dix enfants compte aujourd’hui plus de cent petits enfants.
Il y avait donc, à l’Académie, cette après-midi du 23 mai, une atmosphère particulière, et il n’était pas sans intérêt de le noter. Il y avait de l’enthousiasme dans l’air.
On sait le succès qu’obtiennent les conférences de Louis Madelin. Ses auditrices, ses auditeurs sont devenus ses amis, autre famille, et non pas la moins heureuse de manifester sa joie de voir honorer l’auteur du fameux Fouché, de cet ouvrage si nouveau qui s’appelle La Révolution, de l’Histoire politique de la Nation Française (1515-1804) et de ces livres de la guerre : la Victoire de la Marne, la Mêlée des Flandres, Verdun, la Bataille de France et les Heures merveilleuses d’Alsace et de Lorraine.
Aussi le discours d’Henry Bordeaux fut-il fort applaudi. Citons-en les dernières phrases : Je vous ai laissé tout à l’heure, Monsieur, en pénitence, je veux dire à la Chambre des députés ! Mais je ne prendrai pas la peine de vous délivrer ; vos électeurs l’ont déjà fait. Tant pis pour eux et pour la Chambre.
Maurice Barrès, commentant vos Croquis lorrains, vous écrivait : « Nos enfants ignorent l’histoire de notre terre et de nos morts. Il faut la leur apprendre en termes magnifiques. ».Nous attendons de vous cette suite de l’histoire de France, qui ne sera jamais achevée, car elle se compose encore chaque jour avec le meilleur de l’énergie et de l’intelligence française. »
Son discours à l’Académie ne sera pas le moins charmant ouvrage de Louis Madelin. Il avait à composer l’éloge de son prédécesseur, Robert de Flers ; il le fit avec un goût, un tact, une bonne humeur parfaits, et lorsque vinrent pour l’auteur du Roi et de l’Habit vert les heures tragiques de la guerre, Louis Madelin traça de Robert de Flers un portrait où le rire français et l’émotion humaine fraternisaient noblement » -Jacques des Gachons.
(Bulletin VPF d'octobre 2016 sous le titre "Une bruyante famille à l’Académie Française", avec leur aimable autorisation)
Louis Madelin, le jour de sa réception à l'Académie Française (Gallica) |