Les délices de notre grand-mère n'étaient pas d'ordre culinaire ( et de très loin ...) mais provenaient, en plus, de ses réels talents d'illustratrice, de l'écriture et de la conversation où pouvaient s'exprimer la plume Madelin et briller l'esprit Bonnet.
Mais le délice des délices de Grand-mère c'était de pouvoir raconter avec gourmandise de bonnes vieilles histoires de famille et plaisir suprême, quand elles étaient liées à la Pichardière!
Nous retranscrivons ici, issues de nos archives familiales, trois histoires de famille vraies, toutes à Neuville aux Bois, consignées avec verve par Grand-mère et qui devaient d'autant plus faire le régal des assemblées de la Pichardière qu'elles présentaient pour cette bonne société s'il en fut, le charme discret de s'amuser paternellement des manières de l'endroit.
Oh! la bonne galette
Mon arrière-arrière grand-père était médecin de campagne.Il exerçait ses délicates fonctions dans ce brave Neuville aux Bois que tout le monde connait, du moins de nom, dans la famille. Neuville est à présent, une petite citée moderne, et même modèle, grâce à l'eau qu'on est arrivé à faire jaillir dans ce pays sans rivière, et qui, à l'époque où se passe cette petite histoire apéritive devait se contenter de puits profonds parfois à sec - ce qui ne favorisait pas la propreté des campagnards. On s'en arrangeait, que voulez-vous! Les clients de mon grand-grand-père comme les autres ignoraient les bains, les douches et même les simples tubs.
Or, un beau matin, le Dr Ducloux, mon ancêtre fut réveillé dès l'aube par un "gars" d'un hameau assez éloigné de Neuville, afin d'obtenir une rapide visite de " M'sieur le médecin" pour un cultivateur de ce hameau "qu'était ben mal avec tout plein de fièvre". Mon grand-père se leva, attela à son cabriolet, son vieux bidet qui connaissait tous les chemins de ce coin de Beauce où il promenait son maître depuis pas mal d'années, de malade en malade.
Le Docteur avait hâte de voir son client (naturellement le brave homme s'appelait Baratin, l'un des noms neuvillois les plus répandus) et il ne put même pas prendre le temps d'avaler une tasse de café et de se couper un morceau de notre bon pain du pays.
Au hameau auquel il avait été appelé, il trouva le père Baratin sérieusement malade avec une très forte fièvre, je ne sais quel remède on appliquait dans de cas. L'époque dont je parle étant à peu près celle du spirituel Molière, je pense qu'on saignait et purgeait le fiévreux !
Après avoir fait le nécessaire et expliqué de son mieux le traitement à suivre à Mme Baratin, un peu rassurée, celle-ci eu la charmante idée d'offrir au Docteur une part de galette chaude. Qui n'a pas goûté notre galette de Beauce, faite de farine blanche de ce riche pays et de beurre qui la rend feuilletée à plaisir, n'a rien mangé de bon!
Le Docteur, à jeun depuis son départ du bourg, dévore de bon cœur sa part de galette, combattant la fraîcheur de ce matin de septembre par la bonne chaleur qui s'en dégageait.
Ayant fini de se régaler, il dit malheureusement en cherchant des yeux son antique chapeau : "J'admire, Mme Baratin, que vous puissiez me servir un met chaud de si bonne heure alors que vous n'avez encore pas allumé votre feu ..."
Mère Baratin eut un fin sourire : "Ben! M'sieur le Docteur, la galette je l'ai faite hier, mais je l'ai mise sous l'édredon à mon homme, avec c'te grosse fièvre, ça a tenu la galette chaude toute la nuit ..."
Eh bien! croyez moi, le Docteur qui avait passé sur bien des dégoûts tout au long de sa carrière pourtant, senti un poids terrible sur l'estomac toute la journée !!!
Cabriolet |
A pieuse grand-mère, pieuse souris ...
La grand messe dominicale était à notre paroisse neuvilloise, solennelle, assez compliquée comme cérémonie et très longue; D'abord, elle commençait par une procession assez lente, durant laquelle les chantres pourvus de leurs chapes chantaient à tue-tête l'hymne du jour.
L'Asperges me se faisait avec conscience; le curé, le vicaire, devaient faire le tour complet de l'église et l'allée du milieu, tout le monde recevait sa goutte d'eau bénite ... puis enfin commençait la messe, interrompue au Kirie par la cérémonie du pain béni, autre rite solennel : la personne qui en faisait l'offrande, devait présenter au prêtre, la pile de galettes qu'elle avait commandées et qui devaient être ensuite coupées et distribuées aux fidèles. De plus la généreuse donatrice mettait un nombre de galettes plus ou moins important, selon sa générosité, afin de les envoyer à ses meilleurs amis qui en faisaient leurs goûter du dimanche. La donatrice, généralement représentée par un enfant de la famille en grande toilette! suivait sa pile de galettes un cierge à la main, tandis que le bedeau avec tronc [canne creuse de bedeau avec fente dans le pommeau pour recevoir les pièces de monnaie et formant ainsi un tronc.NDLR] et chaîne conduisait le cortège à l'autel, deux bedeaux en tenue civile portant ce bienheureux pain béni sur une sorte de brancard.
C'était l'un des passe-temps occupant à propos, la prime jeunesse qui trouvait la messe un peu longue.
Mon arrière-arrière grand-mère qui était une personne sérieuse et pieuse, ne cherchait pas de futiles distractions.Elle suivait sa messe avec soin et écoutait les annonces paroissiales extrêmement détaillées avant le sermon et, avec un respect ému, elle suivait la multitude de noms bien connus d'elle de tous les morts de la paroisse depuis une centaine d'années, puis répondait au De profondis psalmodié par les chantres avec leur accent beauceron si sympathique, lequel accent est en train à présent de disparaître comme le pain béni.
L'arrière grand-mère s'appelait Mme Aucante, c'était une personne très cossue, très bien mise à la mode de l'époque de ce temps qui était celui de la Restauration. Je ne sais pas comment était sa robe du dimanche, sans doute en taffetas avec de grosses manches bouffantes, mais j'ai connu son chapeau perlé (de mon temps !) comme une relique à la Pichardière, la chère demeure qu'elle avait construite.
Le chapeau de Mme Aucante était énorme, avec une haute calotte et de larges bord qui justifièrent le nom de capote donné à cette coiffure. Il était fait de paille de maïs ce qui le rendait très léger malgré ses dimensions, il était attaché sous le menton par de larges brides, que ma grand-mère eu bien envie de dénouer durant la grand messe un dimanche d'automne.
Elle s'était sans doute mise en retard pour gagner, en voiture pourtant !, l'église très proche et avait, je pense, mis très vite son grand chapeau du dimanche.
Dés le début de la messe, elle trouva son chapeau mal installé sur sa tête et au cours de l'office elle sentit quelque chose qui lui grattait terriblement la tête. Elle crut que le grand peigne qui consolidait sa haute coque de cheveux à la mode, s'était détaché et glissait sous la haute calotte du chapeau.
Pour la première fois elle trouva long le Credo pendant lequel un bedeau et deux "enfants de messe" quêtaient solennellement et ... lentement. Enfin au son de l'Angelus, la grand messe se termina.
La grand-mère Aucante, au milieu de la foule des paroissiens qui la saluait respectueusement, regagna sa voiture avec son mari et sa fille Adelaïde. Elle n'osa pas enlever son chapeau tant qu'elle ne fut pas dans sa belle chambre du rez de chaussée de la Pichardière ...
Ce fut là qu'elle eut une surprise désagréable : elle n'avait pas vu, en mettant rapidement son immense capote, qu'une souris s'était réfugiée au fond de la calotte et, elle aussi, dans sa prison, avait trouvé longs "l'aspersion, procession et grand messe" ...
Chapeaux sous la restauration. |
Place perdue
L'un des fermiers de ma grand-mère Bonnet portait le nom extraordinaire de Marteau; c'était un bon fermier payant régulièrement son loyer, on lui parlait très aimablement dans notre famille, mais lui était extrêmement silencieux, en bon paysan et bon beauceron.
Il devait trouver très bavards ma grand-mère, mes oncles et tantes qui l'accablaient toujours de questions (extraordinaires pour lui, je crois).
Mr Marteau n'avait jamais quitté son pays natal, il ne connaissait que la Beauce, plate, bien cultivée et fertile. Or sa paroisse ayant organisé un pèlerinage à Lourdes, le bon Marteau trouve à propos d'en être.
En famille on s'y intéresse : Marteau allait dans les Pyrénées! Quel changement d'horizon pour lui! Aussi au retour fut-il interrogé par tous : "Eh bien, Mr Marteau, vous avez vu un bien beau pays? demanda ma grand-mère. Oh! Il ne fallait pas espérer les récits de voyage attendus ...
Le pratique beauceron dit seulement : "La montagne,M'dame Bonnet ...c'est ben de la place perdue ..."
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