1943 - Un héritage imprévu et des rêves au 11 quater rue du Hazard à Versailles
Notre cousine Françoise Dequecker nous rapporte ici, d'après des documents trouvés dans nos archives familiales, une affaire étonnante :
L'HERITAGE FANTOME DES MADELIN
En 1943, Louis Madelin écrit à Elisabeth et André Lesort, ses soeur et beau-frère :
« Je viens de recevoir la visite d’un jeune homme qui s’est dit secrétaire de M. Maurice Coutot, généalogiste. La « maison Coutot » aurait « découvert une succession à laquelle nous serions tous intéressés comme héritiers, cousins au 6° degré (mon visiteur était fort instruit de tous nos ascendants dont il m’a énuméré les prénoms, lieux et dates de naissance et de décès).
Il s’est enquis des adresses de mes frère et soeurs pour vous faire la même « révélation » ; je n’ai pas cru devoir les lui refuser. Je crains maintenant d’avoir agi un peu vite, car je lui ai signé l’autorisation, pour mon compte personnel, de poursuivre ses « recherches », ce qu’il ne ferait que quand il aurait réuni toutes les signatures. Comme mon visiteur ne demandait pas d’avance, je n’ai pas, au 1er abord, vu d’inconvénients à tout cela (sans d’ailleurs beaucoup croire à cette mirifique succession). »
Peu après, Jules Madelin écrit à André :
« Tu as dû avoir de mes nouvelles par le représentant de Coutot que j’ai reçu avant-hier. Il a été stupéfait parce que avant même qu’il se soit assis, je lui ai dit : Vous venez me parler de la succession de ma cousine Marthe Madelin qui habitait Tomblaine et que nous avons en effet perdue de vue. Il a dû convenir que j’étais dans le vrai. Je lui ai néanmoins signé son papier, convaincu qu’il s’agit d’une affaire de rien. Il peut y avoir des héritiers du côté de sa mère, née Léger, sur laquelle Coutot n’a pas fait encore d’enquête. La famille Léger, m’a dit le commis de Coutot, est fort médiocre, « surtout en comparaison de la famille Madelin »
« Il eût été encore plus étonné si j’avais eu les renseignements que me donne ce matin Marie Roy : « Il y a environ 15 jours nous avions vu dans l’état-civil du journal la mort de Melle Marie Madelin, décédée à la maison de Secours – puis dans la liste « inhumations d’aujourd’hui », Melle Marie Madelin à Tomblaine... Si c’est d’elle dont il s’agit, M. Coutot a été vite pour prendre l’affaire en mains... » Jules ajoute : « Le décès étant très récent, Coutot lui-même ne connait pas le quantum de la succession. Cette branche de la famille passait pour très décavée. Mon grand-père a bouché bien des trous. J’ai connu Constance Madelin que j’allais voir avec Papa ; c’était sa cousine germaine, et la tante de Marthe. Excellente vieille fille, mais vivant de rien. Donc pas d’espoirs, je crois, de voir la Fortune et sa roue »
Qui est cette cousine Marthe Madelin, inconnue de tous, sauf de Jules Madelin – et de sa sœur Geneviève Zeller - ?
Pour comprendre, retour en arrière sur environ un siècle et demi :
Jean-Baptiste Madelin, modeste négociant en tissu à Toul dont il est le maire, a eu de son mariage en 1787 avec Rose Prat, trois fils :
Barthélémy, né en 1789, dit « Madelin »
Auguste, né en 1794, jeune Saint-Cyrien tué à 18 ans pendant la campagne de Russie
Jules, notre ancêtre, marié à Virginie Deschiens.
Barthélémy, dit Madelin, épouse en 1820 Françoise Léger, dont il a 7 enfants : 2 seulement surnageront dans la mémoire familiale, grâce notamment aux Souvenirs du Général Paul Xardel : » Madelin l’ainé, mon grand-oncle, avait fait du commerce mais il n’avait pas d’aptitudes et il n’avait pas réussi. Il n’était pas plus apte à diriger l’éducation de ses deux enfants Auguste et Constance, et mon bisaïeul (Jean-Baptiste) avait par testament avantagé son fils Jules en le chargeant d’y pourvoir » (d’où les trous bouchés par ce dernier qu’évoque plus haut son petit fils Jules, l’aîné de la fratrie Madelin qui s’agite autour de l’héritage).
Paul Xardel poursuit dans ses Souvenirs : « Auguste était comme son père un esprit peu pratique, il n’avait pas fait de bonnes affaires. Il a laissé une fille Marthe qui a été élevée au Sacré-cœur de Nancy. Quant à Constance, pieuse personne, cœur dévoué, créature effacée et résignée, elle n’avait guère connu de la vie que ses devoirs et ses rigueurs. Elevée à Mattaincourt chez les religieuses de Notre-Dame, la congrégation fondée par le Bienheureux curé Pierre Fourrier, elle avait été obligée de gagner sa vie ; elle avait été institutrice chez les Zorn de Bulach. Vieillie et retirée du monde, elle s’occupait encore de l’éducation de sa nièce Marthe et vivait en pension chez les sœurs de l’Espérance, pas trop loin de Tomblaine. »
Quelques mois après les échanges épistolaires entre les Madelin et M. Coutot, rebondissement : le 25 Août 1943, le généalogiste informe les héritiers présumés d’une lettre manuscrite récemment reçue par le Maire de Tomblaine, sous une enveloppe bleu pâle, portant le timbre de Nancy, 19 h, 13-7-43. Voici le texte de cette lettre, syntaxe et orthographe respectées :
TOMBLAINE le 4 février 19...(illisible)
Monsieur le Maire,
Je vous envoy cette lettre qui pour des raisons personnel ne vous parviendra que trois mois après mon décès voilà bien longtemps que je suis souffrante le professeur de l’hôpital me trouve cancéreuse le coeur très faible sans soin. Monsieur le Maire je n’ai personne pour s’occuper de moi je vous le demande charitablement j’ai garder le bien de mes p arents pour moi vivre durant ma vieillesse comme je n’en profiterai pas ce que je demande que ma maison ne soi pas vendue ni les meubles de mes parents je veux que cela reste à la commune à des gens honnêtes. Je les donnents de mon vivant à la famille Pierre postier avec le jardin face à chez moi entouré d’un mur jusqu’au prolongement à la haie en ligne droite. Les frais de mon enterrement seront payés à la commune par mes locations. à vous Monsieur le Maire le droit à mes signatures avec mes remerciements je demande des prières.
M. MADELIN
18 bis Grand Rue TOMBLAINE
M. Coutot émet des doutes quant à la validité de ce testament...
Le 11 Septembre 1943 a lieu la levée des scellés et l’inventaire « en présence d’ailleurs de M. Edmond Marie Jules Madelin, votre co-héritier. La succession comprend une grande maison à Tomblaine, dont l’intérieur est dans un état de saleté invraisemblable ; un mobilier en très mauvais état, plusieurs terrains sur la commune de Tomblaine, qui peuvent valoir entre 700.000 frs et un million.
« Nous avons retrouvé des documents signés par la défunte, et avons pu les rapprocher de la fameuse lettre contenant les dispositions testamentaires : j’ai la conviction maintenant qu’il s’agit d’un faux, et j’ai même l’impression que ce faux est l’oeuvre de M. PIERRE.
« Je vais faire photographier les documents en vue d’une expertise, et je vous tiendrai au courant de la suite »
M. Pierre, c’était le postier en faveur duquel Marthe était censée avoir écrit le testament...
Le 29 Novembre, le généalogiste écrit à M. et Mme Lesort, comme sans doute aux autres héritiers : « J’ai le plaisir de vous informer que M. de Rougemont, Expert près le Tribunal de la Seine, à qui nous avons soumis la fameuse lettre testamentaire signée M. Madelin, vient de conclure qu’il s’agissait d’un faux »
Le plaisir sera de courte durée : en Janvier 1944 M. Coutot, navré (tout ce travail pour rien !) informe les « héritiers » qu’il a été trouvé « au cours du dépouillement d’un vieux tas de papiers au domicile de Melle Madelin un testament daté du 10 Septembre 1926 qui les exhérède.
La bénéficiaire du legs, aujourd’hui comtesse de La Brosse étant toujours existante, le testament doit recevoir son exécution ».
Qui est la comtesse de La Brosse ? A la date de la rédaction du vrai testament (1926), elle est encore Marthe (ou Marie-Marthe) Madelin, une fille du second mariage de René Madelin, le frère de Jules, Elisabeth, Louis et les autres. Il est mort en 1940. Elle-même, née en 1908, épouse en 1939 Jacques Blanchard de la Brosse. Elle n’aura officiellement aucun enfant. Disons officiellement, car d’après certains, qui ont leurs sources, elle aurait eu dans son extrême jeunesse un fils, discrètement confié à l’adoption, qui aura lui-même un fils ministre de la Vème République.Elle est morte en 1988.
Geneviève Zeller attribue le choix de la future comtesse de la Brosse comme héritière à la similitude de prénom : « Marthe ne voyait aucun de nous et ne sortait jamais de sa maison. Sa fortune a été léguée cependant à une personne de notre famille portant le même prénom qu’elle, ce qui l’avait frappée »
Alors, riche ou pauvre, la cousine à héritage ? Toujours d’après Geneviève Zeller, « elle a laissé une assez belle fortune acquise peu à peu,surtout en terres et en champs « Pour son frère Jules, au contraire, « cette branche de la famille passait pour très décavée ».
Et après tout, qu’importe ? Les frères et soeurs Madelin avaient eu assez de bon sens pour ne pas fantasmer sur cette succession, ils n’ont donc pas été déçus. En ces temps de guerre si difficiles, cela aurait pourtant pu mettre du beurre dans les topinambours...