ANDRÉ LESORT
Lequel parmi nos confrères suscita davantage la vénération qu'André Lesort? Il bénéficiait à la fois de l'amitié de ses pairs, de la confiance des archivistes des générations qui avaient succédé à la sienne et chez les plus jeunes d'une admiration où perçait une pointe d'émotion pour l'ancien qui avait su garder dans l'érudition un enthousiasme juvénile et une curiosité d'esprit toujours en éveil.
Tous les aïeux d'André Lesort furent des Normands; du pays de Bray, du pays de Caux ou du Roumois ; lui-même était né à Rouen, le 4 janvier 1876, et il devait rester passionnément fidèle à cette province qu'il revoyait chaque fois avec une joie profonde. N'était-ce pas en écoutant Charles de Beaurepaire, l'un de nos plus remarquables archivistes, exposer les campagnes de construction de la cathédrale de Rouen qu'était née dans l'esprit de notre confrère encore enfant une vocation contre laquelle allaient bientôt se dresser les déboires professionnels de son père, journaliste à Beauvais, les incompréhensions d'une partie de sa famille, mais dont la vigueur allait triompher grâce au tendre soutien de sa mère et à une farouche volonté de vaincre tous les obstacles? Ayant dû quitter le collège, il suivit seul le programme de seconde et réussit son baccalauréat après une année passée au collège de Vaugirard.
Il entra en 1895 à l'École des chartes, subit fortement l'ascendant de Léon Gautier et, après avoir soutenu une thèse sur les chorévêques, il obtenait le diplôme d'archiviste paléographe en même temps que toute une phalange de brillants chartistes ayant noms René Poupardin, major de la promotion, Ferdinand Ghalandon, Georges Gazier, Charles de Lasteyrie, Auguste Le Sourd et Charles Oursel. Alors qu'il était encore sur les bancs de l'École, André Lesort publiait un premier article d'érudition dans la Revue des archives historiques du diocèse de Chartres.
A sa sortie de l'École des chartes, muni de la licence es lettres, il aurait désiré faire ses premières armes en Normandie, mais pas plus que ses deux condisciples normands, René Poupardin et Charles
Oursel, il ne put obtenir un emploi dans sa province natale ; il fut successivement chargé de missions en Belgique, en Angleterre et en Allemagne, puis du reclassement et de l'inventaire des Archives municipales de Cambrai, archives qui devaient être détruites pendant la grande guerre et auxquelles on peut encore se référer grâce à l'excellent inventaire d'André Lësort. Il consacrait à la succession de Charles le Téméraire, à Cambrai, une étude pleine d'intérêt.
Le Lorrain Eugène Welvert, alors chef du bureau des Archives départementales au ministère de l'Intérieur, pressentant la valeur du candidat, l'envoya ensuite à Bar-le-Duc où il fut le premier archiviste paléographe placé à la direction des Archives départementales de la Meuse. Tout était à faire dans ce dépôt pratiquement abandonné depuis vingt-cinq ans. Notre confrère, dans les quatre années passées à Bar, fit preuve d'une activité débordante. Non seulement il répertoria sur fiches les deux séries révolutionnaires, classa les archives communales de Commercy, organisa l'inspection des archives des communes, obtint le versement des archives judiciaires anciennes du greffe du tribunal de Saint-Mihiel, fit des conférences sur la méthode historique aux élèves de l'École normale de Commercy, mais encore il trouva le temps de publier Les chartes du Clermontois, conservées au Musée Condé à Chantilly, ouvrage qui fut couronné par l'Institut, puis Les chroniques et chartes de l'abbaye de Saiňt-Mihiel ; il rédigeait en outre de nombreux articles pour les sociétés savantes lorraines et notamment une excellente étude sur L'esprit public dans le département de la Meuse au moment de l'arrestation du roi à Varennes, parue dans les Annales de l'Est en 1906. Dès cette époque, il prête son concours au congrès des Sociétés savantes, concours qu'il ne cessa d'accorder avec une fidélité et un dévouement admirables de 1899 à 1959.
André Lesort s'était beaucoup plu à Bar où il garda d'excellents amis, Mgr Aymond, Me Renault et plusieurs professeurs du lycée ; il avait été très apprécié des administrateurs et des hommes politiques du département, spécialement de Raymond Poincaré.
Encouragé par des amis rennais à poser sa candidature à la succession de son compatriote normand, Paul Parfouru, à la direction des Archives du département d'Ille-et -Vilaine, il prenait possession de cet emploi le 1er mars 1905. Au début de l'année suivante, il épousait la fille d'un magistrat barrois, sœur de l'historien Louis Madelin, union harmonieuse et féconde sur tous les plans ; neuf enfants, cinquante-trois petits-enfants devaient être la joie de ce foyer courageux qui sut remplir avec générosité dans la plénitude des grâces d'état toutes ses obligations et faire fructifier tous les dons du cœur et de l'esprit reçus en partage.
A Rennes, entouré de l'enrichissante amitié d'Edouard Jordan et d'Henri Sée, le nouvel archiviste d'Ille-et-Vilaine poursuivait le classement du fonds des États de Bretagne et des dossiers civils du Parlement, il inventoriait le fonds de l'Amirauté, les archives communales de Saint-Malo et de Saint-Servan, assumait le versement des fonds judiciaires des greffes de la Cour d'appel et des tribunaux de Fougères et de Saint-Malo. Il publiait, en collaboration avec Henri Sée, de 1909 à 1912, les quatre volumes des Cahiers de doléances de la sénéchaussée de Rennes en 1789 et, de 1909 à 1911, trois fascicules de bibliographie bretonne dans les Annales de Bretagne.
André Lesort, qui n'avait jamais perdu son goût pour l'archéologie et avait classé la collection Delloye au Musée de Cambrai en 1900, acceptait d'enseigner l'histoire de l'art à la Faculté des Lettres de Rennes et à l'École régionale d'architecture ; il participait à la réunion des sociétés des beaux- arts des départements, en 1911, traitant des États de Bretagne et de l'enseignement du dessin.
La mort très prématurée de sa mère, en 1910, fut pour ce fils exemplaire un coup terrible qui l'incita à se rapprocher de sa famille et de celle de sa compagne et à solliciter sa mutation aux Archives départementales de Seine-et-Oise qu'il devait diriger de 1912 à 1929.
Accaparé par mille tâches administratives, remplissant avec une conscience et un zèle admirables le rôle de guide des historiens, des érudits locaux et des normaliens, d'initiateur pour les jeunes archivistes confiés successivement à son expérience, comme Etienne Fages, Joseph Salvini, Joseph Estienne, André Vaquier, Victor Baudet, Joseph Billioud, de mainteneur des sociétés savantes de l'Ile-de-France, André Lesort dut ralentir la cadence de ses travaux d'inventaire et de ses recherches personnelles. L'aménagement des archives dans la chapelle de la rue Neuve-Notre-Dame exigea beaucoup de temps, et la guerre de 1914-1918 le détourna dés Archives de Seine-et-Oise pour celles des services régionaux de la Santé qu'il réorganisa si brillamment que le ministre de la Guerre lui attribua la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Rentré à Versailles en 1917, il fut appelé pendant cinq années encore à diriger le service des Réfugiés.
Il put néanmoins réaliser le versement aux Archives de Seine-et- Oise des fonds judiciaires anciens des greffes des tribunaux de Versailles, Étampes et Mantes, acheva les répertoires des séries G et L, reclassa les archives communales de Rambouillet.
A la mise à la retraite de Marius Barroux, à la fin de l'année 1928, André Lesort accepte le poste difficile d'archiviste de la Seine et de la ville de Paris ; son expérience hors de pair, le libéralisme de son caractère et son imperturbable courtoisie devaient lui permettre de réussir pleinement sur les plans administratif et personnel. Mais il regrettait de n'avoir à conserver que des fonds modernes et il se reportait volontiers par la pensée au temps déjà lointain où il avait la garde des magnifiques chartriers des abbayes et chapitres lorrains.
II devait mener de front à Paris de multiples tâches qui ne lui laissaient guère de loisirs pour entreprendre des travaux personnels. Il préparait cependant la publication du tome V de l'Épitaphier de Paris et participait activement à la Commission du Vieux-Paris ; il continuait en outre à apporter une collaboration efficace aux nombreuses sociétés savantes et organismes scientifiques dont, pour la plupart, il assumait ou avait assumé naguère la présidence : Société des sciences morales, lettres et arts de Versailles et de Seine-et-Oise, Société historique du Vexin qu'il dirigea durant plus de trente-cinq années, Société d'histoire et d'archéologie de Paris et de l'Ile-de- France, Société de l'histoire de Paris, Académie de Versailles, Commission des sites, Commission départementale des antiquités et des arts de Seine-et-Oise, Société d'histoire des colonies françaises, Société d'histoire de l'Église de France,. Commission centrale de publication des documents économiques de la Révolution française. A Versailles, il avait réuni une documentation abondante sur le clergé de Seine-et- Oise de la Révolution à nos jours ; il avait également rassemblé les éléments d'une importante étude sur l'état des campagnes de l'Ile- de-France au xviii6 siècle. Sur le plan professionnel, il avait été désigné en 1939, au moment où il était mis à la retraite, comme membre de la Commission supérieure des Archives ; la Société de l'École des chartes l'avait porté en 1938 à sa présidence et, de 1912 à 1919, il avait été président de l'Association amicale et professionnelle des archivistes français.
Il n'avait jamais cessé de s'intéresser à l'art et à l'archéologie, avait été un excellent conservateur des antiquités et objets d'art dans les départements d'Ille-et-Vilaine et de Seine-et-Oise, et il avait presque entièrement rédigé le volume de lа collection des Églises de France consacré au département de Seine-et-Oise.
Rappelé à l'activité lors du déclenchement de la seconde guerre mondiale, il ne quitta définitivement le dépôt du quai Henri IV que le 1er février 1941. Mais son activité de correspondant de l'Institut, de membre du Comité des travaux historiques, de promoteur des recherches sur Paris et l'Ile-de-France ne se démentit jamais jusqu'à ce jour de janvier 1960 où il fut terrassé par la congestion cérébrale alors qu'il venait d'accomplir un acte de charité.
Ce savant, cet archiviste enthousiaste de sa profession était aussi un homme de bien, une âme rayonnante de foi et de charité et, dans la nef de Saint-Louis de Versailles, autour de son cercueil, c'était en son nom un cri de reconnaissance et d'espérance qui montait vers le Créateur dans l'allégresse du Magnificat.
Marcel Baudot.
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